La vie, à quoi ça sert ?
22 mois
Il y a un an tout pile, tu étais comme à ton habitude : rayonnant. Cette photo prise pour immortaliser tes 10 mois est une des mes préférées. C’est celle que j’ai fait imprimer en grand, que j’ai envoyée aux médecins qui ont étudié ton cas si improbable, parce que je voulais qu’ils aient une image concrète derrière leur numéro de dossier, et qui te représente à merveille.
Tu devrais être là
Ce midi j’ai été marcher en forêt. Après une journée de pluie la nature brillait, et tu n’étais pas physiquement là pour en profiter. Pour tes 22 mois tu aurais dû être avec moi et ton papa en train de gambader, de nommer tout ce que tu vois et surtout, de rire encore et encore. Je sais que tu aurais été resplendissant. Je suis tellement désolée et désespérée qu’il en soit autrement.
Neuf mois après ton départ soudain, le silence de ta voix qui ne résonne plus est toujours aussi insupportable. Chaque matin j’enfile mon armure de neutralité pour affronter la journée. Je fais bonne figure, et tout inconnu qui me croise ne peut pas se douter de l’horreur que je traverse. Tous les jours j’écoute ton rire en vidéo, c’est comme une drogue : quelques secondes de bien-être pour des heures de descente aux enfers. Mais je ne peux pas survivre sans. Bref, c’est évident que la blessure est encore béante, elle est si récente. Je ne cherche même pas à faire quoi que ce soit pour aller mieux pour l’instant, ce serait aussi utile que de préparer un marathon avec une fracture au tibia non ressoudée.
Ce n’est donc pas pour parler de moi et de mon désespoir que je reprends l’écriture, mais pour présenter au monde la pureté et la merveille qui a foulé cette Terre. Il me semble indispensable de laisser une trace quelque part pour toi, pour que ton sourire reste le plus longtemps possible visible par tous, et que même dans très longtemps tu ne sombres pas dans l’oubli. Quand nous avons préparé ton enterrement, le prêtre a dit quelque chose du genre « Normalement on résume la vie du défunt avec tout ce qu’il a fait de bien, mais là je ne pense pas que ce soit nécessaire il n’en a hélas pas eu le temps ». J’ai bondi. J’avais tant à raconter sur ce que tu avais accompli d’incroyable en presque 13 mois, et bien sûr que ton éloge funèbre a été aussi complète que pour un adulte, sinon plus.
Un rire communicatif
Tes parents ne sont pas les êtres les plus expressifs du monde. Et pourtant cela ne t’a pas empêché d’exprimer continuellement tes ressentis, aussi bien positifs que négatifs. C’était facile de satisfaire tes besoins, tu ne réclamais pas énormément de choses, mais quand c’était le cas valait mieux faire vite pour la santé de nos tympans. Tu portais très bien ton prénom !
Heureusement, tes insatisfactions exprimées étaient beaucoup moins nombreuses que tes joies éprouvées. Un joli jouet ? Un rire de bonheur. Un objet quelconque ? Rire d’étonnement. Un Pinpin qui passe ? Autre rire. Un câlin ? Immense sourire. Un coucou caché ? Fou rire garanti. Et sans arrêt des babillages, tu voulais toujours nous parler et on adorait ça. Tous ceux qui ont été amenés à prendre soin sont unanimes : mis à part pour la sieste (comment ça je dois rester tout seul sans faire de bruit ?), te garder était un bonheur car tu étais toujours content.
Un courage exemplaire
Tu n’étais pas casse-cou, loin de là. Tu étais prudent et tes gestes étaient étonnamment mesurés pour un petit garçon si jeune. Tu montais sur la table et tu en descendais avec précaution. Tu voulais grimper partout, prendre de la hauteur. Même si cela te faisait un peu peur, tu y allais, et telle est la définition du courage. Tu n’abandonnais jamais. Surmonter tes craintes avec une telle classe, ça m’a toujours impressionnée. Tu paradais de fierté après un nouvel exploit, et quoi de plus normal ?
Le plus drôle était ta façon de tenir tête aux gens qui t’impressionnaient. Tu avais peur c’était évident, surtout des voix graves et fortes, mais tu ne cédais pas un iota de ta place. Si tu avais une idée en tête, tu ne lâchais rien. Crier était inutile, et t’expliquer était beaucoup plus productif. Parfois l’explication d’un danger te convenait et tu ne reproduisais pas la bêtise, et d’autres fois tu y retournais dès qu’on avait le dos tourné. La pédagogie ne marchait pas à tous les coups, mais crier ne fonctionnait jamais.
La vraie gentillesse
Quand je parle de pureté, c’est avant tout pour ton sourire sincère donné à profusion à tout organisme vivant croisé : humain, animal, végétal. Tu aimais tout et tout le monde. Ton authenticité a fait du bien à des gens seuls. Pas besoin de grands discours pour apporter du réconfort. Un regard d’Octave suffit. L’humanité a perdu un de ses meilleurs atouts, j’en suis convaincue. Evidemment c’est mon point de vue de maman, ce n’est pas moi qui pourra rester objective sur cela. Mais quand même. Une bouille aussi adorable qui n’est plus, c’est un déchirement collectif.
Comment survivre à la perte de son fils unique ? Je n’ai pas de réponse absolue. Cependant, je pense que sans la présence et la bienveillance de nos proches on aurait coulé. Je me trouve tellement infecte avec mon apathie que je ne sais pas comment ils font pour me supporter. Mais ils sont là, et ça nous apporte un peu de baume au coeur. Merci à eux pour leur patience. Je crois que le chemin vers un peu d’apaisement est encore très, très long.